Kilo 2.

kilo

Didier Bequillard.

3500 Kilos tout nu.
La pluie tambourine doucement sur mon toit en tôle, le cariste m’a déposé sans ménagement sur le quai au pied du porte container. C’est une froide nuit de novembre, les gyrophares rythment un tango sur la musique des sirènes du port. J’attends la morsure du palonnier du pont transbordeur qui m’enverra valser dans les airs avant de me déposer dans mon rack. J’ai quinze ans, je suis un dry de 40 pieds, j’appartiens à la Mitsui Osk Line, le crocodile de la compagnie peint sur mes flancs comme un tatouage est plein de cicatrices. J’ai bourlingué sur tous les océans, je connais tous les ports, mais c’est la fin, on m’a classé “dernier voyage.”

Ça y est je monte au ciel, balancé au bout des câbles entre les jambes de la grue, je vois les lumières de Hamburg sur l’autre rive, la tour de l’hôtel Hafen, le pont qui enjambe le port, j’entends l’écho de l’autoroute qui plonge sous le fleuve et déjà je redescend, le grutier me dépose à la proue à tribord, la meilleure place, je n’aurais pas aimé faire mon dernier voyage dans la cale. Je suis le dernier chargé, je n’aurai pas de voisin au dessus, juste un container de la India Corp. à ma gauche pour me tenir compagnie.

On s’éloigne du quai et déjà le Cap Victor qui arrive du Quebec est à la manoeuvre pour accoster. A la sortie du port le Lotse 2 se colle à bâbord pour récupérer le pilote, on remonte l’Elbe jusqu’à la mer. Le Roméo et Juliette appartient à un amateur d’opéra grec, il bat pavillon panaméen. Il n’est plus tout jeune, les vibrations des machines se propagent dans tout le navire et font trembler les élingues qui me fixent au pont, le matelot qui a l’oreille fine vient retendre les ridoirs, c’est Charlie, je le connais il s’est déjà occupé de moi un jour où j’étais mal arrimé à Callao le port de Lima, c’est un as qui vous verrouille en place en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, bravo.

Au passage du Willkommen point de Wedel au moment même ou retentit notre hymne national on manque d’éperonner un petit foxtrot attardé sans lumières qui tire des bords pour rentrer au port de plaisance, le bruit de notre corne de brume couvre le son des haut-parleurs et le message de bon voyage. A l’embouchure de l’Elbe passé Cuxhafen on pique vers le sud. La mer est à peine formée, la nuit est belle. Je me laisse bercer par le tangage et j’essaie d’oublier que c’est mon dernier voyage, l’odeur de ma cargaison, des vieux pneus m’écoeure un peu, il y en presque 3000 qui se frottent les uns aux autres en chuintant. Dans ma jeunesse je transportais des marchandises de luxe, ordinateurs, écrans plats, haute couture, équipements de golf, vins d’Australie, whiskey écossais et même une fois toute une cargaison de Dom Pérignon millésimé pour fêter la victoire des New York Yankees face aux San Diego Padres.

Trois jours de mer et on est au Havre, encore une semaine et c’est Tanger. Maintenant on longe les côte de l’Afrique comme un vulgaire caboteur. La première escale à Freetown en Sierra Leone est très courte, on dépose un 20 pieds tout cabossé et on repart aussitôt. Il fait très chaud et l’odeur des pneus est presque insupportable, encore deux stops à Lome et à Cotonou et nous serons à Lagos. Dire que c’est ici que je vais finir mes jours, rien n’est simple ici, la ville est un vrai chaos. Nous ne sommes pas les seuls à entrer au port, on se met en ligne dans la file des cargos et des tankers le long d’Alpha Beach, le capitaine a hissé le pavillon zulu pour demander un remorqueur, il est très beau : quatre triangles, noir, jaune, bleu et rouge, mais rien n’y fait, il faut attendre. Je suis partagé entre la hâte de me débarrasser de mon chargement et le plaisir de rester encore un peu en mer. Enfin on accoste et le déchargement commence. Sur le quai un douanier en uniforme s’intéresse à moi, il tourne, s’éloigne, revient étudier ma plaque et vérifier les plombs, le soleil tape, les pneus cuisent. Il s’adosse à moi côté ombre et parle dans son talky avec un certain Mike, le type du scanner. Cette fois je ne vais pas y échapper, on veut percer mes secrets, voir si je n’ai pas quelques kalachnikovs cachées sous les pneus. L’outrage des xrays signe mon dernier voyage. Le test passé, je sors du port sur un vieux truck brinquebalant jusqu’à une casse auto. On a vidé mes pneus mais l’odeur est toujours là avec en prime une fragrance d’huile de vidange, oh je vais vite m’y habituer.

Rien à l’horizon que des rangés d’épaves méconnaissables empilées les unes sur les autres, sauf une posée comme une cerise sur un gâteau, une Lancia Delta rouge de rallye, probablement un reste d’un lointain Paris-Dakar. L’endroit est désolé, la nuit il n’y a que les dobermans qui gardent la casse, comme je suis nouveau ici ils m’ont tous pissé dessus en signe de bienvenue.

La journée c’est un peu mieux, un mécanicien qui vient démonter un rétroviseur sur une vieille carcasse ou une dépanneuse qui en traîne une autre dans un bruit de ferraille, mais surtout et ce qui fait ma joie, le fils du patron qui, quand il n’a pas école m’a choisi comme cachette. Il doit avoir environ dix ans, il récupère tout un tas de trésors qu’il dispose comme une précieuse collection sur le sol. Le soir son papa fait semblant de le chercher, il l’appelle de loin, Oscar, Oscar, où es-tu ? Mais il sait très bien qu’il le trouvera dans ce vieux container au crocodile, sa caverne d’Ali Baba. Voilà quel est mon sort, le temps passe Oscar grandit, d’autres containers arrivent, c’est moi le doyen, on me respecte, la collection est devenue un vrai cabinet de curiosité dont je suis l’écrin, qui sait si je ne finirais pas dans un musée.

3500 Kilos all stripped down.
The rain drums softly on my corrugated roof, the forklift deposits me unceremoniously on the dock at the foot of the container ship. It’s a cold November night, flashing lights set a tango beat for the music of the port sirens. I await the bite of the gantry crane’s spreader that will send me waltzing through the air before placing me on my rack. I’m 15 years old, I’m a 40-foot dry, I belong to the Mitsui Osk Line, the company crocodile painted on my flanks like a tattoo is full of scars. I’ve rousted about on all the oceans, I know all the ports, but this is the end, I’ve been classified ‘last voyage.’

Here I go, up into the sky, swaying at the end of the cables between the legs of the crane. I see the lights of Hamburg on the opposite bank, the Hafen Hotel tower, the bridge that spans the harbour. I hear the echo from the highway that dives under the river and I’m already descending. The crane operator sets me down on the starboard side of the bow, the best spot; I wouldn’t have liked to make my last voyage in the hold. I’m the last to be loaded, I won’t have a neighbour on top, just an India Corp. container on my left to keep me company.

We move away from the dock and already the Cap Victor, arriving from Quebec, is maneuvering to berth. At the harbour exit, the Lotse 2 clings to port-side to pick up the pilot. We head up the Elba to the sea. The Romeo and Juliet belongs to a Greek opera fan; it flies a Panamanian flag. It’s no spring chicken, the vibrations from the engine room spread throughout the ship and shake the lashing bars that fasten me to the deck; the sailor, who has a good ear, comes to tighten the turn buckles. It’s Charlie, I know him, he took care of me one day when I was badly attached in Callao, Lima’s harbour; he’s an ace who locks you into place faster than you can say bravo.

Passing Wedel’s Willkommen Point at the very moment our national anthem resounds, we just miss ramming a little foxtrot, lingering without lights, that tacks to enter the marina. The sound of our fog horn drowns out the loud speakers and the bon voyage message. At the mouth of the Elba, past Cuxhafen, we head southward. Slight swells mark the sea, the night is beautiful. I allow myself to be rocked by the pitching of the ship and I try to forget that it’s my last voyage. The odor of my cargo – old tires – makes me a bit queasy, there are almost 3,000 squeaking as they rub against each other.

During my youth I transported luxury merchandise: computers, flat-screens, haute couture, golf equipment, Australian wines, Scotch whiskey and even once a whole shipment of vintage Dom Pérignon for celebrating the New York Yankees’ victory against the San Diego Padres.

Three days at sea and we reach Le Havre, another week and it’s Tangiers. Now we follow the African coastline like some vulgar coaster. The first stopover at Freetown in Sierra Leone is very short; we drop off a beat-up 20 footer and head out immediately. It’s really hot and the odor of the tires is almost unbearable. Another two stops at Lome and Cotonou and we’re in Lagos. To think that this is where I’m going to end my days… nothing is simple here, the town is total chaos. We’re not the only ones entering the harbour; we join the line of cargos and tankers all along Alpha Beach. The captain has hoisted the Zulu flag, asking for a tow. It’s really beautiful : four triangles – black, yellow, blue and red – but it’s no use, we have to wait. I hesitate between getting rid of my load asap and staying at sea a little while longer.

On the dock, a Customs officer in uniform takes an interest in me. He turns, walks off, comes back to study my plate and check the seals. The sun beats down, the tires bake. He leans up against my shady side and converses on his talky with a certain Mike, the scanner guy. This time, there’s no escaping it, they want to get at my secrets, see if I don’t have some Kalachnikovs hidden under the tires. The insult of an X-ray test marks my last voyage. Having passed it, I leave port on a clanky old truck, on the way to the auto graveyard. My tires have been removed, but the odour is still there, with a fragrance of used oil thrown in. Oh well, I’ll soon get used to it.

Nothing on the horizon but unidentifiable wrecks piled one atop the other, except for one perched like a cherry on a sundae, a red Lancia Delta rally car, probably left over from a long ago Paris-Dakar. The place is desolate; at night there’s only the dobermans guarding the graveyard. As I’m new here, they’ve all pissed on me by way of welcome. During the day, it’s a little better : a mechanic comes to dismount a rearview mirror from one old wreck or a tow truck trails another one clanging behind. But especially, and this is what makes me happy, the owner’s son, when he’s not at school, has chosen me as a hideout. He must be about ten, he salvages all sorts of treasures that he set out like a precious collection on the ground. At evening time, his papa pretends to look for him, he calls from far off, “Oscar, Oscar, where are you?” but he knows very well that he’ll find him in that old crocodile container, his own Ali Baba’s cavern. So this is my destiny : time goes by, Oscar grows up, other containers arrive, I’m the eldest, they respect me. The collection has become a genuine curiosity cabinet with me for a showcase. Who knows if I won’t wind up in a museum.

Bio ~ Didier Bequillard.
Né à Paris Vit et travaille à Sorède et à Hamburg
10 rue de la maréchalerie 66690 Sorède
EsmarchStr. 122-22767 Hamburg
didier.bequillard@free.fr
http://www.didierbequillard.fr

Didier started out as a blacksmith but after a Faustian deal became an Artist!